Croissance
Un des termes les plus communs de la discipline économique est aussi un des plus mal utilisé du grand public. Souvent immédiatement assimilée à un objectif, elle n’est pourtant qu’un résultat. La croissance économique n’est que l’augmentation de la production de biens et de services d’un ensemble économique donné sur une période donnée. Elle peut résulter d’une meilleure utilisation de facteurs de production (travail humain, capital physique) et est alors dite intensive, ou d’une augmentation du volume de facteurs de production et est alors dite extensive.
Si des choses sont offertes, c’est qu’elles sont produites. Si elles sont produites, c’est que ceux qui les produisent s’attendent à ce qu’elles soient demandées, donc utiles. Si elles sont effectivement achetées, l’offre a rencontré sa demande et la demande latente son offre. La croissance apparaît donc vertueuse. Une société qui produit plus de choses, de biens et de services utiles, n’est-elle pas « meilleure » qu’une société qui en produit moins ?
Pourtant, la croissance a « mauvaise presse » : en ces temps de réchauffement climatique et d’externalités négatives de plus en plus coûteuses (pollution), la croissance est décriée comme elle le fut dès les années 70 lorsqu’apparurent les concepts de « croissance zéro » voire de décroissance. Ces concepts sont explicitement normatifs (traduire une volonté, dire ce qui devrait être). Or, nous avons vu que la croissance est un résultat, donc relève d’une observation, d’un jugement positif (ce qui est, indépendamment des difficultés de mesure).
Ainsi posé, le débat est ainsi… mal posé. Aucun économiste sérieux ne devrait tomber dans le piège d’une discussion sur la croissance puisque la croissance n’a jamais été un objectif d’économiste sérieux :
- d’une part, seules importent les conséquences de la croissance, en termes de chômage, de pauvreté, de bien-être : une société qui produit davantage mais où le chômage et la pauvreté augmentent et où on vivrait de plus en plus mal n’est pas désirable,
- d’autre part, seule importe la croissance « par tête »: une société dont la population augmente de 10% pendant que la croissance de la production a été de 5% s’appauvrit ou contribue à n’enrichir de quelques-uns seulement au détriment du plus grand nombre.
Les partisans d’une décroissance ou d’une croissance zéro n’insistent que peu, et seulement récemment et à demi-mot, sur le fait que cela signifie un appauvrissement volontaire, ou à présent une modération volontaire. Ainsi peut-on s’étonner des illuminés de la croissance comme des agités de la décroissance. Les vraies questions relatives à la croissance sont ailleurs.
Comment produit-on ? Que produit-on ? C’est aussi simple que cela.
Quelles sont les conditions dans lesquelles le travail et le capital sont combinés pour produire des biens et services utiles ? Voici une question bien plus fondamentale que : « faut-il de la croissance ? », ou « doit-on y renoncer ? ». Qui ne voudrait d’une société où des biens et des services jugés utiles par le plus grand nombre sont produits ? La croissance peut être celle d’une production de fruits, de légumes, de mets savoureux, de mise en valeur et de défenses de paysages, de constructions architecturales dignes de rester dans l’histoire, d’œuvres littéraires, picturales, statuaires ou musicales inspirées, de nouvelles connaissances diffusées et transmises au plus grand nombre… et ce, dans des conditions acceptables, pourquoi pas agréables, sans contrainte pour tous ceux qui y participent. Elle peut aussi être surexploitation de ressources en danger d’extinction, production de produits plastiques et chimiques, d’armes de destruction massive… dans des conditions de travail honteuses et qu’on préfère ignorer. Il y a croissance et croissance. L’une peut être vertueuse, l’autre pernicieuse. Il faut travailler à la première et s’émanciper de la seconde. Produire des moyens d’économiser l’eau douce, de protéger des espèces, d’améliorer le bien-être au travail… qu’est-ce sinon de la croissance ?
Mais ceci soulève deux autres questions.
- Qu’est-ce qui est utile ? Qui décide de ce qui est utile ? Quelqu’un peut-il décider pour d’autres de ce qui est utile ? L’utilité est-elle objective ? Ou subjective ? Ceci renvoie à une autre notion ô combien mal comprise, mal utilisée de la science économique : le marché. Et derrière le marché, la démocratie.
- Que seraient des conditions de travail acceptables ? Qui pour en décider ?
De la croissance, notion récente dans l’histoire de la pensée économique et pur résultat chiffré, on en arrive en peu de temps – et de réflexion – à deux notions autrement plus fondamentales pour l’essor de la pensée économique et plus difficiles à définir qu’on ne le pense au premier abord : le travail et l’utilité.