Il n’en faut pas beaucoup pour opposer les « méchants marchés » aux institutions. Cela est parfois justifié. Parfois non. Entre États et marchés financiers, c’est ou ce devrait être « par-delà le bien et le mal ».
En 1992, on accusait Georges Soros d’attaquer la livre sterling et plus généralement la stabilité des monnaies européennes, reliées entre elles depuis la création du SME en 1979. Ce n’est que deux ans plus tôt que la livre avait rejoint le SME mais l’inflation – proche de 8% – était alors du double de celle observée en France et près de trois fois celle observée en Allemagne. Les taux anglais étaient alors très élevés pour cette raison mais aussi pour une autre : la réunification allemande.
Celle-ci, reposant sur un échange à parité de marks ouest-allemands contre les marks est-allemands allait stimuler la consommation. Elle élevait d’environ 25% la population de l’ouest mais de seulement 10% le capital productif donc ouvrait d’importantes opportunités d’investissement. De quoi faire risquer un surcroît d’inflation à une Banque centrale allemande, la « Buba », historiquement adverse à ce risque depuis 1923, qui réagissait par une hausse des taux d’intérêt. Les taux d’intérêt en hausse en Allemagne et le mark « anti-inflationniste » entraînaient ainsi dans leur sillage, SME oblige, la monnaie anglaise mais aussi le franc.
L’Angleterre entrait en récession. La France également pour la première fois depuis 1975, en refusant une appréciation du mark qui aurait pu passer pour une « faiblesse » du franc vis-à-vis du Mark, comprenez de Mitterrand alors président vis-à-vis de Kohl alors chancelier.
C’est ainsi contre des monnaies largement surévaluées, que Georges Soros allait spéculer à partir de 1992. Black Wednesday ou White Wednesday, ce 16 septembre 1992 où la chute de la livre survint pour redonner du souffle aux exportations et des perspectives de croissance ?
Trente ans plus tard, en 2022, Liz Truss annonce un budget prévoyant une baisse spectaculaire de 65 milliards de livres d’impôts en 4 ans assortie d’une suppression de la tranche marginale supérieure de l’impôt sur le revenu et du report de la hausse des cotisations sociales. Budget défendu au motif d’inciter à investir et de regagner en compétitivité, mais risquant à court terme d’aggraver une inflation déjà à plus de 10%.
Habituellement, les marchés applaudissent à de telles mesures. Pas cette fois. Les marchés – entendez des agents payés pour ne pas perdre l’argent des épargnants placé dans des titres publics comme privés et qu’ils s’attendent à être relativement protégés de l’inflation – ont raréfié leur offre de financement, ce qui a élevé les taux sur les OAT à dix ans à plus de 4,5% pour la première fois depuis plus de dix ans.
De quoi alourdir la charge de la dette de l’État anglais – détenue pour un peu plus de la moitié par des résidents anglais, pour près d’¼ par la BCE – et déjà jugée insoutenable par certaines études dès cet été. Et de quoi mettre en difficulté les fonds de pension en charge de verser les retraites. De quoi également faire chuter la livre au moment où l’inflation s’accélère, avec pour conséquence de l’aggraver encore en renchérissant les importations. Qui est en tort ? Les marchés ou l’actuel gouvernement anglais ?
Lorsqu’ils réagissent à la mise en œuvre d’une politique économique par un gouvernement, c’est parfois ce dernier que « les marchés » sanctionnent et non la Nation : il leur arrive de surréagir et de déstabiliser tragiquement des États en difficulté, il leur arrive de réagir négativement à des dépenses publiques pourtant justement inclusives – dans des pays en développement notamment – et il est alors bon de s’en inquiéter. Mais il leur arrive parfois d’être plus lucides que les gouvernements sur ce que doivent être des politiques économiques en adéquation avec les faits.
Il n’y a pas d’un côté les bons, de l’autre les méchants. Il y a surtout des contextes qui font que les marchés et les États voguent parfois de conserve, d’autres qui parfois, nécessitent de pouvoir compter sur l’un pour rappeler l’autre à l’ordre.